Féministe et universaliste avant l’heure, l’œuvre de Juliette Roche, épouse d’Albert Gleizes est injustement méconnue. Avec cette magnifique rétrospective, le musée Estrine de Saint Rémy de Provence lui rend enfin l’hommage qu’elle mérite.
Un proverbe dit « derrière chaque grand homme se cache une femme ». Anonymat souhaité ou subi, c’est particulièrement vrai en art où de nombreuses femmes artistes ont mis leur carrière en retrait pour ne pas faire de l’ombre à leur conjoint ou mentor.
On pense bien sûr aux plus connues comme Camille Claudel ou Frida Khalo mais il existe bien d’autres exemples. Le cas de Juliette Roche, fille de Jules Roche (homme politique, avocat et journaliste français) est encore différent puisque celle-ci connut une petite notoriété de son vivant avant de sombrer dans l’oubli. On redécouvre très tardivement les peintures exhumées des collections de son époux par un passionné particulièrement curieux, Christian Briend, conservateur général du Centre Pompidou et administrateur de la Fondation Albert Gleizes.
On comprend aisément que vivre aux côtés de cet immense artiste de l’ère moderne qui a écrit avec Jean Metzinger le premier traité majeur sur le cubisme n’a pas dû faciliter l’affirmation de soi.
« Elle a réussi néanmoins à s’imposer comme artiste et femme de lettres, en se jouant des normes et des conventions afin de vivre pleinement son art et ses engagements politiques et sociaux, parfois même aux dépens de sa propre reconnaissance » déclare Fériel Dridi qui a fait une thèse sur le sujet.
« Cette quête de soi se reflète dans sa pratique de l’autoportrait (…) une réflexion intime et personnelle sur l’évolution de son statut en tant que femme artiste, affiliée à la grande bourgeoisie parisienne. » poursuit-elle.
Connue de son époque, la femme et l’artiste sont retombées dans un certain anonymat. D’autant qu’à la mort d’Albert Gleizes, en 1953, elle s’arrête de peindre et décide de se consacrer à la diffusion de l’héritage artistique de son défunt mari.
Pourtant celle qui signait JR bien avant un artiste contemporain a produit toute sa vie des toiles remarquables inspirées de sa vie à Paris, New-York et dans le Sud de la France que l’on découvre avec bonheur au Musée Estrine de Saint Rémy de Provence. Une rétrospective lui est enfin entièrement consacrée, après seulement deux expositions personnelles qui ont encadré sa carrière : la première en 1914 galerie Bernheim-Jeune, la seconde en 1963 dans la galerie Miroir de Montpellier.
Juliette Roche mène très tôt une double carrière littéraire – elle publie anonymement des poèmes – et artistique et se liant très tôt avec les Nabis, des peintres qui influenceront beaucoup sa façon de peintre.
Sa carrière sera ensuite traversée par les grands courants artistiques (cubisme, dadaïsme, symbolisme) avec plus ou moins de bonheur.
Outre ses nombreux autoportraits en garçonne émancipée, ses sujets de prédilection sont des scènes de vie de la bourgeoisie : patins à roulettes, piscine et combat de boxe à Paris ; Music-hall, jazz et lumières sur la ville à New-York où elle et son mari retrouvent pendant et après la seconde guerre mondiale leurs amis artistes Duchamp, Picabia, Joseph Stella, Man Ray. ; Des natures mortes à Barcelone ou bien encore des placettes, terrasses et jardins à Saint Rémy de Provence.
L’œuvre baptisée par la suite American Picnic (en couverture de l’article) impressionnante par ses dimensions (2.17 m x 3.4 m) semble résumer ses principales aspirations et style (le fameux contour noir qui sera sa signature picturale). Peinte vers 1918 pendant son séjour américain de l’artiste, on y perçoit l’influence d’un Matisse (La Danse) comme d’un Gauguin dans l’usage d’aplats de couleurs pastel. Les races et les cultures africaines, indiennes et européennes semblent se mélanger sous le regard de l’artiste et d’une amie dans un décor d’une Eden idéalisé.
Cette exposition sur Juliette Roche qui révèlera à beaucoup (dont nous-mêmes) l’importance de son œuvre permet de revaloriser à sa façon l’impact des femmes dans l’art et les avant-gardes du XXe siècle.
Par Eric Foucher