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Qui peut bien être cette magicienne qui donne envie aux enfants d’aller à l’école en transformant les écoles en royaume? Qui peut bien être cette femme qui met toute sa sensibilité dans ses projets et gère avec passion son agence d'architecture?

Son nom est Amélia Tavella, elle est Corse, mère et architecte de talent, établie depuis quelques années à Aix-en-Provence. Elle collectionne les récompenses mais se considère comme un artisan et assume la responsabilité qui lui incombe de participer à l’évolution des modes de vie à travers son travail. Amoureuse de la nature et des matériaux bruts, elle est réputée pour donner vie à des réalisations qui se fondent littéralement dans les paysages. Cette interview vous donnera l’occasion de mieux cerner cette personnalité qui s’est livrée sans fard et nous invite à découvrir sa vison du métier d’architecte.

Pourquoi avoir ouvert votre agence à Aix-en Provence?

Le hasard de la vie m’a mené à Aix. Je vivais à Paris, où je suivais mes études d’architecture à l’Ecole Spéciale d’Architecture. Après l’obtention de mon diplôme, je me suis donc installée à Aix qui me rapprochait de mon grand Sud : la Corse, mon île mère et magnétique. J’y vis aujourd’hui pour mes deux filles, Marie-Amélie et Mathilde.

Cette ville a-t-elle inspiré votre façon de créer ?

Aix est un laboratoire pour moi ou une plateforme. Je pense et je construis dans ses murs, mais je ne la sépare jamais de la mer qui n’est pas si loin. Je pense cette ville ainsi, en lisière des rives de la Méditerranée. Elle est une sorte de rempart, de forteresse. Je m’y sens à la fois étrangère et habitante. J’aime sa structure étroite, ses quartiers anciens si proches de la structure italienne, de Florence notamment, dans ses couleurs, son charme. J’en possède une vision assez étrangère finalement. Je la vois ainsi : antichambre à un ailleurs, très vite pour moi, c’est l’eau, avec Cassis, belle et fermée, repliée sur elle-même, puis Marseille ouverte ver l’autre rive, vers la Corse. Aix est un port invisible et silencieux avant la mer, avant l’horizon, avant l’espérance. Aix est une sorte de promesse.

Vous y avez dessiné pas mal de boutiques dont Bastide…

Bastide, en effet, qui est pour moi un petit phare dans la partie de la ville commerçante, c’est un lieu-repère, une sorte de classique, par ses produits, son histoire. J’ai respecté sa légende, c’est un lieu rassurant et empreint de la culture provençale.

J’ai cherché, dans la mise en espace de ces produits de beauté issus d’une culture et d’une localité, la Provence, à rendre compte de ses récits et de ses sensations : un récit de féminité qui s’articule autour de la figure du lavoir, sur les thèmes du bain et d’un art de vivre sublimé par des éléments sensuels et bruts. La proximité d’un minéral et d’un végétal, du calcaire et du pin, de l’ambre et de la figue, évoque l’architecture de ce projet. Il ne s’agissait pas d’inventer une Provence fantasmée, idéale et parodique, mais de retrouver des sensations d’enfance commune à tous les méditerranéens.

Je me suis donc employée à retrouver le temps perdu en mettant, d’emblée, la boutique en difficulté par l’installation, en son centre, d’un grand lavoir : un chef d’oeuvre artisanal taillé d’une pièce dans la pierre et assorti de laiton. Il suffit d’une caresse à la surface du calcaire patiné pour que jaillisse l’eau dans ce bassin central rappelant le labeur des femmes. Le projet n’était plus, alors, simplement la décoration d’une boutique, mais plutôt consistait-t-il en la création d’une confluence : confluence de vies et confluences d’histoires.

Les lavandières se retrouvaient au lavoir où, exécutant une tâche difficile et épuisante, elles parlaient entre elles, inventaient une communauté féminine à l’abri du regard des hommes.

Peut-être qu’en imaginant ce lavoir, ai-je pensé aux étoffes, aux linges plongés dans l’eau et le savon, aux textiles qui constituent les matériaux des ouvrages de dames.

J’ai oeuvré à une boutique empreinte d’histoire, dont le lien avec l’espace de référence est tissé finement. La signature poétique que je désire pour chacun de mes projets, qu’ils soient publics ou privés, aura donné à ce projet un supplément d’âme authentique.

Qu’implique ce type de collaboration ? 

Aix possède une forme d’élégance. Y construire induit un respect de la beauté et de l’art qui l’a précédé. Cézanne hante ses murs, ses rues, je trouve cela très émouvant. C’est ainsi que j’ai pensé Bastide, dans l’âme des peintres qui se sont tant inspirés des couleurs du ciel, de la nature. À Aix, il y a un dialogue avec les « âmes- artistes » qui nous ont précédées. Sa lumière y est si particulière. Les pierres nouvelles doivent restituer cela, s’imprégner de cela.

Aimeriez-vous faire d’autres projets de boutiques ?

Oui, pourquoi pas… Je suis fascinée vous savez par la beauté. Une boutique c’est la séduction. Mais c’est le séduire-vrai. On passe le seuil d’une porte pour la beauté. Notre monde manque cruellement de beauté, alors, pensons, nous autres architectes, à combler ce manque dans le quotidien de chacun. Je vois les choses ainsi dans mes constructions. Un architecte pense pour les autres, toujours.

A quel savoir-faire de la région aimez-vous faire appel ?

J’ai collaboré avec des tailleurs de pierre, des ferroniers, des peintres, des menuisiers. Pour Bastide, nous avons crée ce lavoir en pierre taillée fait d’une seule pierre, très lourd à déplacer, à inscrire dans le lieu. C’était très beau à voir, à vivre, à partager : tant sa conception, son dessin que son sculptage et enfin son installation; le tailler, le porter, l’élever, cela a demandé beaucoup d’efforts, et il est naturellement devenu la pièce maîtresse de Bastide. C’est son cœur et son âme je crois. Un autel, presque sacré.

Peut-on dire que vous êtes une architecte de la minéralité?

Je ne conçois qu’avec la nature. C’est très important pour moi. Il y a une vraie sensualité à ça. La pierre, le bois, j’aime la transmission. De la nature à nous. C’est important. Au lieu de dévorer cette nature, nous devons la magnifier, la prolonger, la sublimer. Je ne suis pas un architecte de la trahison, mais plutôt de l’inclusion. Je viens de là, j’ai grandi en Corse, au centre du maquis, part sauvage du territoire, part insoumise, indomptable, que j’ai traversé à cheval toute mon enfance. Je suis marquée par cela, jamais je ne vais défaire ce que m’a donné la terre, toute ma pensée d’architecte tend vers cela. Je me sens responsable et redevable.

Ma vision des formes, de l’espace, de la grandeur vient de là, je ne peux m’en départir. Quand j’évoque cela, j’évoque aussi l’ordre incroyable que nous impose la nature. Tout est juste, en harmonie, les couleurs, les variations, les saisons, la délicatesse et la sauvagerie. La nature est une école de vérité. Elle apprend le respect, la morale, l’humilité, elle est plus forte que nous, mais si fragile aussi quand nous la spolions. C’est un héritage et une richesse qu’il faut admirer, préserver. Nous sommes les enfants de la nature. Faire corps avec les éléments c’est avoir conscience de la vie, c’est se sentir vivant.

Comment se traduit l’éco-responsabilité dans votre démarche ?

Utiliser toujours des matériaux naturels. Penser à la nuisance, rien ne doit brutaliser un environnement. Nous avons une responsabilité aujourd’hui, encore plus qu’hier, car nous savons. Vivre bien c’est vivre beau. Quand je dis beau, c’est respecter la nature et aussi les hommes et les femmes qui vivrons à l’intérieur ou à l’extérieur d’un édifice. Je ne peux envisager une agression visuelle ou sonore. J’aime prolonger la nature au cœur de mes projets, poursuivre justement sa beauté et son silence, sa sérénité.

Nous avons abîmé notre terre, à nous de la reconstruire ou tout du moins de préserver la richesse qu’il reste encore. Mes constructions sont toutes pensées et ensuite édifiées avec comme règle du jeu absolue le bon sens. L’écologie relève selon moi  du bon sens. Et non d’un accastillage coûteux et hasardeux. Par exemple, l’inertie de l’enveloppe bâtie grâce à sa matérialité et son épaisseur, l’orientation et les protections solaires des façades du bâti, l’intégration dans son environnement, l’usage de sur-toiture ventilée, de ventilation naturelle traversante, de gestion intelligente des apports solaires. Penser des bâtiments intelligents. Construire en Méditerranée est très particulier. Il faut apprivoiser son climat pour en jouir.

Vous collaborez régulièrement avec de grands noms de l’architecture. Quelle collaboration vous a le plus marquée ?

J’ai apprécié travailler avec Rudy Riciotti avec lequel nous sommes en train de réaliser le Conservatoire régional de musique de danse et d’art dramatique d’Ajaccio. Nous partageons des valeurs et un élan commun, une puissance, indispensables pour servir le métier d’architecte très exigeant. Il s’agit d’un engagement du corps tout entier. Pas de demi-mesure. Il y a quelques choses de physique à « faire l’architecture ». Mais mes plus grandes rencontres se font sur les chantiers. Mes collaborations renouvelées et souhaitées avec les travailleurs de la pierre, du bois, les hommes du chantier sont celles qui me touchent le plus. La force, la conviction de ces hommes. Ils ne trahissent pas le dessin, jamais, silencieux et dans l’action ; c’est un métier de forçat, il faut leur rendre hommage, sans eux, nous n’existons pas. C’est très émouvant de voir comment ils vont bâtir le projet inventé, dessiné. Faire de la penser du corps. Tout à coup nous sommes dans le principe de réalité, avec eux ça existe.

Est-ce que le fait d’être une femme, une mère a joué un rôle dans votre parcours ?

Les femmes doivent redoubler, hélas, de vigilance, d’acuité, de rigueur, c’est ainsi, cela ne me déplaît pas, j’exerce mon métier dans ce sens. Nous aurons gagné, quand nous les femmes n’auront plus à nous justifier de tous ces efforts. Il faudrait penser l’architecture sans genre. Le combat n’est pas gagné, mais je ne désespère pas et être une mère redouble ma force de conviction, je veux être un modèle pour mes filles. Les femmes ont un destin, le travail est un salut, rien ne doit entraver leurs rêves. C’est ainsi que j’élève mes filles, peu importe leur choix, elles seront seules à décider de ce que leur vie doit être et jamais ne céder à la violence, à l’intimidation : les femmes doivent construire leur avenir.

Nous assistons aujourd’hui à une révolution. Les femmes ont enfin la parole. Il y a de la misogynie au sein de mon métier. J’accueille cette difficulté comme la source d’une force supplémentaire. Libre et indépendante à l’image de la Corse. Mon arrière grand-mère Amelia Tavella avait ouvert la voie, à ma mère qui a son tour m’a insufflé l’absolue nécessité de liberté et émancipation et désormais je transmets à mes deux petites filles ces valeurs : s’aimer, s’estimer, être une femme forte, libre, pleine de rêves et de désirs, sans peur ni chaîne.

Vous avez reçu de nombreuses récompenses récemment? Quelle est celle dont vous êtes la plus fière ? 

Je suis particulièrement fière de toutes les récompenses qui ont distingué mon école A Strega tapie au cœur du maquis Corse, parce que c’est une école, parce qu’elle se glisse dans la nature et parce que les élèves qui la fréquentent sont bombardés par la beauté. Je suis certaine que l’on apprend mieux dans un environnement poétique. Je crois en la douceur d’un lieu. Le savoir entouré de beauté est déjà à demi acquis.

Vous avez travaillé sur plusieurs groupes scolaires ? Est-ce un sujet qui vous tient particulièrement à cœur ?

L’éducation fera les hommes et les femmes de demain. Entourer les enfants de beauté, de douceur est mon vœu, ma vision. Je me sens infiniment responsable quand je construis une école. Je crois en l’influence des espaces, des murs, des pierres sur les esprits. C’est une contagion la beauté. Et c’est si simple de créer un écrin de douceur, il n’y a aucune fierté à cela, cela relève de l’éthique, de la morale. Tout commence-là, au plus jeune âge, il ne faut jamais l’oublier.

A l’école s’annonce l’engagement écologique et peut-être, sans doute, la vocation des éclaireurs de demain.

De nombreux projets ont été réalisés en Corse. Est-ce une source inépuisable d’inspiration ?

La Corse est ma terre natale, mon territoire, ma matrice et bien plus encore. Qu’elle soit une île me transcende. Je pense avec ses courbes, ses pentes, sa complexité topographique et avec sa beauté vertigineuse. La Corse est ma mère, je reviens à chaque fois vers elle avec mon innocence et mon respect. Je suis imprégnée de sa beauté et de sa fougue. J’ai sa dimension sauvage, elle est encore vierge et il faut respecter sa virginité, sa fragilité qui est sa force. Mon regard est corse pour toujours, dans le sens où mon regard d’architecte ne voit que l’horizon sans entrave. Je construis avec l’idée d’une ligne sans cassure, sans brisure, avec la largeur de la mer qui serait comme une dentelle qui borde les contours. La Corse m’a donné, me donne une dimension poétique dans mon travail. Une île est une terre en mouvement.

Plus j’avance en âge, plus je me rapproche de mes racines. C’est constitutif chez moi. J’ai cette fougue et cette passion. Je ne peux pas m’éloigner de mon île. Ce serait comme s’éloigner de moi-même. Y revenir sans cesse exprime ma fidélité à son égard. L’avantage des voyages, c’est que je la regarde à chaque fois frontalement. Je la vois, je la sais, je l’embrasse. Mon lien est charnel.

J’ai lu que vous seriez intéressée par la construction d’une église ou d’une prison ? Le couvent St-François a-t-il été un projet particulier en ce sens? Pensez-vous qu’en tant qu’architecte vous avez une responsabilité sociale ?

Un architecte ne peut pas se séparer de cela. Nous avons une responsabilité sociétale bien évidemment. Il faut penser avec l’autre, pour l’autre. Nul projet isolé ne peut exister à mon sens. Je construis pour mon prochain. Pour l’écolier, le fidèle ou l’infidèle, le prisonnier, le professeur, l’ouvrier, la mère de famille, que sais-je ? Nous ne pouvons pas nous départir de l’humanité. Nous sommes, nous aussi, l’humanité. Le geste de l’architecte doit répondre au mouvement du cœur de l’autre. Nous avons les clés du bâtiment, de l’édifice et avec beaucoup d’humilité nous devons confier cette clé, sans remords ni regrets.

Quel est pour vous le plus grand défi de l’architecture de demain ?

Sans hésiter, évidemment, l’écologie. Le bien vivre, le beau vivre, en restituant et en respectant au plus près ce que la nature nous a donné. Rien n’est perdu, je suis une idéaliste poétique, tout est à reconquérir, à réparer, je suis certaine que la nature saura pardonner si nous prenons enfin soin d’elle.

Architectes, nous sommes là pour reliés les êtres entre eux. Et pour relier la nature à la ville. Et le ciel à la terre. Nous sommes des passeurs.

Quels sont les lieux que vous aimez tout particulièrement à Aix et que vous pourriez conseiller à nos lecteurs
Le Château La Coste est mon royaume. J’en connais chaque travée, chaque œuvre d’art, chaque couleur, chaque relief. Il n’est jamais le même et il est toujours certitude de joie et de sérénité. L’accueil qu’on nous consacre y est aussi agréable que leur fameux vermentino / grenache Pente Douce Il est mon échappée sauvage à Aix en Provence.

J’éprouve le même plaisir à déjeuner ou dîner à la Villa Gallici, sublime retraite italienne à 3 minutes du Cours Mirabeau. Ses brassées de roses fraîches dans la fontaine. Il m’arrive de passer une nuit au Château de Fonscolombes, dont la beauté de l’édifice et du parc classés si particulière nous attrape avec ses cèdres blancs centenaires. Le Spa SR Mazarine est mon lieu de soins esthétiques et de bien-être, depuis sa création. Je pourrais aussi vous parler de la piscine interminable de la Villa Sainte-Ange ou encore des richesses de l’Hôtel de Caumont, que recèlent son architecture, sa programmation, son jardin.

Propos recueillis par Nathalie Boscq.