Depuis 10 ans, Morgane Baroghel-Crucq explore les possibilités tissées infinies de matériaux non textiles. Son approche sensible et contemporaine d’un savoir-faire millénaire fait ressortir la poésie des matières.
Après une option « Arts Appliqués » au lycée, puis une classe préparatoire à l’ENS de Cachan en Design, Morgane Baroghel-Crucq entame une formation de 3 ans dans le département Textile de l’Ensci à Paris. C’est là-bas qu’elle tisse pour la première fois et découvre le côté infini des créations qui la passionne depuis maintenant depuis 2014. En pénétrant son antre aixois, entre labo de recherche et ateliers d’artiste, on découvre un grand nombre d’échantillons, y compris de métaux, qui donneront vie à des œuvres en volume qui valorisent le travail manuel. Au croisement du design, de l’artisanat et de l’art, ses œuvres tissées inspirées de paysages silencieux captent et font rejaillir avec magie la lumière. Elles dessinent des reliefs sans cesse changeants comme la mer et ses reflets. Nous avons voulu en savoir plus sur ces créations originales imprégnées d’une approche esthétique, scientifique, historique et philosophique auprès de la jeune artiste.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’expérimenter autour d’un savoir-faire millénaire ?
C’est un tout. J’ai rapidement compris que les possibilités étaient infinies en tissage. Mes études précédentes en design m’ont apporté un processus de questionnement qui me permet de rebondir et de trouver des solutions. J’aime comprendre comment fonctionnent les éléments entre eux.
J’essaie d’aller toujours plus loin, un résultat apportant une nouvelle idée. J’aime aussi aller là où on me dit que c’est impossible.
Quels sont vos principales sources d’inspiration ?
La Vie ! J’aime les paysages que j’appelle silencieux, une inspiration très minérale.
Au-delà de l’aspect esthétique, c’est tout le processus naturel qui m’inspire : la force du vent qui sculpte les dunes, le ruissellement de l’eau qui dessine dans la roche.
Je suis très inspirée par l’interdépendance des éléments qui créent ces paysages, cette idée de globalité. Et parle mouvement, l’impermanence créée par ce mouvement et la lumière…
Quelles découvertes avez-vous fait lors de vos expérimentations ?
La seule façon de maîtriser la matière est de lui demander son avis.
Dans toute expérimentation, il s’agit de comprendre la matière, d’en faire son alliée. Ma matière de prédilection est le métal. C’est tout sauf une matière souple et facile à tisser.
Les alliages ont tous différentes caractéristiques et il faut tout remettre en perspective à chaque nouveau test. Si le métal veut prendre du volume, je vais dans son sens et fait mes recherches (quelles matières lui associer, quelle densité de chaîne, simple ou double étoffe…) pour lui rendre le plus bel hommage. J’ai aussi compris que mon meilleur allié est d’accepter que tout cela prend du temps…
Vous avez un atelier sur rue dans une petite ruer d’Aix ? Est-ce important que le public puisse vous voir à l’ouvrage ? Y faites-vous aussi de la transmission ?
Je reçois à l’atelier sur rendez-vous. Cela dit, le fait d’avoir une vitrine attire du monde. Les mots sont souvent les mêmes : « vous faites revivre un métier oublié », « quelle patience », etc.
Je suis ravie de cet intérêt mais ce que je lis en filigrane de ces échanges c’est qu’on a totalement annihilé le « faire » dans notre quotidien.
On ne sait plus comment sont fabriqués nos textiles, alors qu’on n’en n’a jamais consommé autant. Le tissage est certes industrialisé aujourd’hui mais beaucoup de processus restent manuels, même en usine. La délocalisation industrielle a caché les gestes qui autrefois étaient centraux dans les villes. Je rêve de donner des cours de tissage, surtout aux enfants. Pour moi c’est très jeune que ça se joue, dans la tête et dans les mains !
Vos créations sont à la rencontre du design, de l’artisanat et de l’art. Est-ce facile de les présenter quand on aime ranger les gens dans des cases précises ?
Je n’aime pas les cases ou les frontières. On les a créés par peur de l’autre et je préfère la curiosité et la confiance à la peur.
Quand je travaille sur une matière, je la crée pour elle-même. Ensuite elle devient tableau ou matière qui sera exploitée pour une boutique de luxe, un luminaire ou dans la Haute Couture.
Cela signifie que je travaille toujours en ouverture avec d’autres savoir-faire, d’autres personnes ou équipes qui comprennent mon métier. La résistance face à mon positionnement, même si elle est assez rare, ne m’empêchera pas d’avancer.
Vous faites partie du Cercle de l’art ? Pouvez-vous nous expliquer l’intérêt de ce modèle de soutien aux artistes ?
Le Cercle de l’art est un nouveau modèle de soutien pour les artistes plasticiennes, initié par l’artiste Margaux Derhy il y a 3 ans. Ce projet réunit une centaine d’artistes femmes francophones, sans limite d’âge ou de pratique. Au mois d’avril, lors d’une vente exceptionnelle, les artistes du Cercle proposent une sélection d’œuvres exclusives, que l’acheteur a la possibilité́ d’acquérir de manière mensualisée sur un an.
L’acheteur devient ainsi collectionneur et a accès à des avantages exclusifs définis par chaque artiste. C’est un modèle vertueux basé sur des valeurs de sororité, de partage, de soutien entre artistes femmes. Ma première participation m’a beaucoup apporté cette année, je suis ravie de cette expérience et du retour de mes nouveaux collectionneurs que je remercie vivement pour leur soutien.
Vous avez travaillé dernièrement avec l’indigotière Laetitia Costechareyre à Aix. Quelles sont les autres collaborations marquantes de ces derniers mois ou celles à venir ?
J’aime faire le lien entre différents métiers et le mien. Rencontrer des artisans, visiter leurs ateliers et imaginer ce que l’on peut faire ensemble, que ce soit un projet concret ou plus manifeste.
Mes prochaines collaborations sont une collection capsule avec Lucie Touré, artiste et artisane textile qui travaille notamment le papier, un projet d’œuvres et d’exposition avec Audrey Guimard, sculptrice sur pierre, et je vais présenter ma plus grande œuvre pour laquelle j’ai à nouveau travaillé avec Laetitia Costechareyre au Salon Révélations au Grand Palais Éphémère, du 7 au 11 Juin prochain.
Quels sont les adresses que vous aimez particulièrement à Aix (Café, restaurant, Galerie, boutiques, etc) et pourquoi ?
Le meilleur espresso c’est chez Mana :). L’été je me rends à l’Hôtel de Gallifet pour de délicieux déjeuners/ dîners. Au début de l’été, j’y vais juste pour boire une citronnade sous les jasmins. J’aime la rue Jaubert pour ses galeries. La Galerie Amaury Goyet pour sa sélection pointue, la Galerie Nea et la boutique Soandso pour ses bijoux et les céramiques de Motoko Saigo. Mais mes chemins favoris restent les sentiers de la Sainte Victoire 🙂
Propos recueillis par Eric Foucher / Photos E.F et Magali Perruchini (Image 2)